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À propos de Marc MEROLLI

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   Pour Merolli, toiles, panneaux de bois, papiers enduits, enrichis de collages, esquisses, recherches numériques, écrits personnels, photos et articles de presse sont autant de fondations techniques, éthiques ou ludiques de l’œuvre.

 

   Puis, la peinture se pose pour mieux être enlevée, creusée, mise à nu.

Le procédé se rapproche de l’imaginaire de l’enfant qui chercherait un trésor perdu. Ici, dans la peinture, l’artiste quête une respiration face à la captitude de la réalité, au pragmatisme issu de l’histoire personnelle, de l’Histoire et des cendres.

   Réminiscence du paysage de l’enfance couvert de poussière de charbon où, à chaque instant, il fallait gratter pour retrouver la préciosité de la couleur, la tonalité initiale ?

   Duel de titans entre l’ombre et la lumière qui échapperait au faiseur ?

Assurément, une image de la nécessité et de la difficulté de l’acte de peindre.

 

   Repousser la difficulté à « s’y mettre » puis ne plus pouvoir s’arrêter au risque de laisser passer l’instant de grâce de l’œuvre et, recommencer avec la hargne du plaisir, voilà le chemin prodigieux.

   Sans doute les interrogations du peintre, de la peinture et du spectateur sont là et font office de liant.

   La peinture fuse, vecteur multisensoriel de la relation à l’humanité, l’onirisme, la transcendance, pour tenter de transformer son et notre rapport au monde : offrir à vivre engagé dans l’acte unique de peindre, dicté pour conjurer la peur.

Au fil du temps, Humanitudes, Captitudes, Foules et Créatures habitent cet univers sombre et coloré d’une douce violence à expérimenter.

 

   « L’inspiration des toiles de Merolli se propose de retrouver, à travers la continuité d’un effort séculaire de l’art de vaincre la mort, l’énergie vitale et l’intuition primitive qui furent, selon le poète, à l’origine de « l’invention du feu et du tombeau » Marcel Mani (critique d’art).

 

 

Christine Moure

Historien de l’art contemporain, 2008.

Textes critiques sur l'oeuvre

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SIGNES ET ÉCRITURES

   Dans un premier temps parlons du phénomène qui n'a cessé de préoccuper et d'interroger l'inconscient des artistes : il s'agit de l'écriture, signes visuels de la si­gnification éprouvée comme une nécessité originelle, comme un acte formel. Ensuite on y décèle une éclairante expression et des images productrices de sens, Merolli fait partie de ces artistes.

   En effet l'intervention des signes au coeur de son existence rejoint les traces ar­chétypiques de sa pensée. Sa pensée est traquée aussi bien dans son inconscient que dans son quotidien. Ces personnages très souvent nus sont circonscrits dans des es­paces clos, prisonniers de leurs fantasmes et de leurs univers, dans cette nudité souf­frante et apeurée, dans cette solitude désespérante, voyeurs et victimes de leur propre déchéance, est-ce le peintre lui même qui se met en scène, est-ce son double, est-ce le cri, est-ce la mort, est-ce l'exorcisme, qui lui permet de vivre.

   Cette écriture, cette mise en page à beau flatter notre goût du bien dit, du bien fait, la mort est là toujours présente, pourtant les compositions sont sobres, équilibrées, quelques fois d'une grande douceur, les tons sont nuancés, les formes franches. Tout y est maîtrisé par un esprit de vive intelligence dont le lyrisme ténébreux ne cède pas au poids du sensible, pourtant cela ne l'empêche pas d'agir profondément sur nos consciences et d'être en tout point fascinant.

   Merolli est habité par des signes intérieurs, des paysages anthropomorphes se­crétant des drames, s'échappant en envolées nocturnes, son écriture fiévreuse, ses personnages du passé, ses visions aigres et angoissées d'où se soulèvent de striden­tes chromatiques. Nous avons une forte impression autant de l'analytique que du descriptif, unissant l'extraordinaire à l'ordinaire par le principe agissant d'analogies culturelles et historiques, jetées sur la toile dans un chaos suprêmement ordonné qui dresse le constat d'une humanité en déperdition.

Christian Karoutzos

Galeriste, éditeur d'art (editions KC)

 

 

 

 

 

 

VERBATIM

   « Chez Merolli, colosses aux pieds d’argile, aux proportions statuaires et formes sculpturales, ces corps lourds s’ancrent dans la matière terrestre, dans laquelle ils se fondent et se dissolvent quelquefois.  La démultiplication de la figure jusqu’à l’échelle microscopique s’observe dans la matière même de certains de ses colosses, tel un magma de corpuscules formant un tout à son image. Le même corps figure aussi d’autres fois, esquissé à plus petite taille, disposé comme une notule dans la fausse marge de la toile, comme en citation…ou bien plutôt sous la forme d’une apparente extraction ? (…)»

 

Pascal Trarieux

Conservateur du musée des Beaux Arts de Nîmes

Extrait d’un texte publié dans un livre imposant (250 pages) consacré à l’artiste et publié en 2012. Peintures de Marc Merolli, un artiste à la recherche du moi.

Editions d’art KC

4 rue du Terrail

63000 Clermont Ferrand

LES SIGNES DU CORPS DANS L IRRADIANTE LUMIERE DES COULEURS 

 

   « Je ne puis fuir mon corps, ni lui moi, il est enchaîné à  moi ».

Pascal Quignard  La nuit sexuelle

 

 

   Marc Merolli fait partie de ces irréductibles restés fidèles à la peinture au-delà du discours officiel qui la condamnait, au-delà  des modes qui la dépréciaient.

Après avoir traversé la phase initiatique dans l’exercice de plusieurs styles et techniques, il détruit la plupart de ses œuvres et, à partir de 1989, s’élance vers l’affirmation personnelle de son art.

 

   Si sa démarche est avant tout une introspection picturale dans laquelle entrent en ligne de compte, non seulement la couleur, mais aussi le traitement du support , elle s’imbrique étroitement au choix du sujet. Le corps, dont l’artiste fait son médium, corps matière, perméable au temps et à la mort, corps questionné dans sa souffrance et sa jouissance, dans ses faiblesses et ses pulsions vitales, convoque les structures fondamentales de l’humain, du trop humain. Il y a en effet, dans le travail de Marc Merolli, tant dans son application que dans son expression, une dimension nietzschenne. Elle pourrait se résumer par cette phrase du philosophe : « …là où vous voyez des choses idéales, moi je vois… des choses humaines, hélas ! trop humaines ! ».

   Haine du mensonge dans la démystification de la représentation esthétique, interrogation sur l’existence ou non d’une éthique devant la violence animale des instincts. Certes, la peinture de Marc Merolli nous dérange par la puissance  de sa formulation, et c’est heureux. Car, la force  d’une création tient dans l’émoi qu’elle provoque de ce que, par paresse ou par peur, nous ne souhaitons pas entendre ni remettre en question. Mais par quelles prouesses techniques l’artiste parvient-il à un tel résultat ? Où puise-t-il son inspiration pour interpeller ainsi, en chacun de nous, les inquiétudes, les malaises refoulés et donner cette fragilité humaine comme un langage universel ? Approcher la création de l’artiste par ces deux angles permettra d’apprécier au mieux la performance et la particularité de sa production.

 

Quand le tableau s’incarne

 

   La préparation du support n’est pas pour rien dans cet expressionnisme original des compositions. Panneaux et toiles font l’objet d’un encollage superposé de papiers récupérés, unis ou imprimés. Leurs raccords créent un agencement de géométries où alternent rectangles et carrés et formes irrégulières. C’est à partir de cette construction que s’organiseront figures et couleurs. Sous l’effet humide des colles, cette enveloppe se plisse, se ride. Puis, recouverts d’un enduit préparatoire, prend soudain l’aspect tactile d’un épiderme où le temps et la vie auraient inscrit leur passage. La référence à la peau comme support de la mémoire, devient explicite lorsque le manche du pinceau grave des phrases et des mots dans la couche picturale. Dès cet instant, tel un golem agité par les lettres sacrées, le tableau prend matériellement vie par sa faculté à transmettre la mesure sensorielle dans l’association des plis et des incisions. Ainsi, bien avant l’artiste conceptuel, Wim Delvoye, Marc Merolli exploite l’idée organique du support et inscrit sa peinture dans une démarche contemporaine parce qu’innovante.

   Dans cette première mise en place,  la trace, a une importance non négligeable pour le peintre. Elle fait sens,  témoigne, tient lieu de repère. Elle est la manifestation visible de la part inconsciente des êtres. Lorsqu’elle intervient dans le tableau, c’est toujours sous l’aspect d’écriture automatique, en une graphie nerveuse, rythmée ou suspendue  par un silence, un vide… Suspens qui interpelle le spectateur au-delà de la représentation lorsqu’elle sera mise en place. Il va de soi qu’une telle pratique ne peut être maîtrisée sans avoir recourt à une inspiration nourrie de nombreuses lectures. Or, Marc Merolli a suivi un cursus universitaire de lettres modernes et son intérêt pour la littérature a cheminé parallèlement à sa peinture. Assimilée par son inconscient, ses lectures surgissent spontanément sous forme de phrases ou de mots pour traduire un sentiment, une impression, un cri de révolte. Ainsi, une silhouette au geste excédé, verra sa face déchirée par ce hurlement :  « Assez » (Sans titre, 2000 ; h/papier ; coll. Particulière).        Contrairement à ce que nous pourrions penser, ce traitement du support par recouvrement n’est pas là pour camoufler. Mais curieusement, dans ce travail, l’artiste « creuse » et révèle comme dans une cure analytique les fondements même de l’âme humaine. Si il y a incarnation du support par un enveloppement quasi charnel ; l’écriture en tant que telle, désincarne et connote la matière d’une portée spirituelle. Aussi, à ce stade, une tension contradictoire s’exerce qui transmet cette problématique du corps et de sa disparition. Au-delà du temps et du style, la référence au saint Barthélémy de Michel-Ange, dans le Jugement dernier, de la Sixtine, paraît évidente. Marc Merolli, ne la renie pas, sa connaissance de l’histoire de la peinture, est une autre de ses sources d’inspiration. Il puise dans cet héritage culturel thèmes et figures, pour en souligner, dans ses interprétations, « l’invariant collectif ».

 

 

Les signes du corps dans l’irradiante lumière des couleurs

 

   Fils de déporté, tout jeune Marc Merolli est bercé du témoignage de son père et  impressionné par les photographies des prisonniers dans les camps. Ces images d’Apocalypse s’associeront plus tard à son bagage d’histoire de l’art pour focaliser son attention sur le corps, et dégager une sorte de sémantique des poses à laquelle prend part la couleur. L’alchimie de ces  deux éléments, transmet aux œuvres des questionnements existentiels : « Qu’est-ce que ce corps ? », « Jusqu’à quel point peut-il soutenir la vie ? » ; « Qu’est-ce qui motive sa résistance à la mort ? » ; « Comment échapper à la souffrance ? ». 

Bien qu’il maîtrise parfaitement la représentation réaliste (voir le portrait au voile de sa première épouse, œuvre de jeunesse), Marc Merolli va, dans un premier temps, s’intéresser à  la simplification formelle jusqu’à l’archaïsme dans lequel il ne conserve que l’essentiel, c'est-à-dire l’expression corporelle qui tantôt se confond, tantôt s’affirme face à un travail purement pictural et abstrait ou la couleur transmet une vibration émotionnelle. 

 

   C’est avec la série Captitude, présentée à la galerie Simple Curiosité, à Nîmes en 1993, qu’émerge et se précise le style de Marc Merolli. Les corps monumentaux, sont cantonnés dans des espaces qui les oppressent, leur imposent la prostration et les soumettent à la contorsion. La sensation de claustrophobie, de pesanteur et de souffrance extrême est explicite. Cette impression se transmet par une dépersonnalisation et une schématisation des figures qui concentrent l’attention sur les poses elles-mêmes. La disproportion et la déformation des membres accentuent les signes de  douleurs. Cette figuration se fond dans les irrégularités des surfaces et dans la couleur jusqu’à prendre une apparence spectrale. Elle se signale juste par un contour accompagné  de quelques traits pour indiquer les volumes et les perspectives. De ce fait, elle ne manque pas d’évoquer les peintures pariétales. Et subrepticement, introduit une réflexion sur les origines. Devant de telles visions profilées, nous ne pouvons parler de « représentation », mais bien plutôt de suggestion des formes. Nous ne pouvons pas, non plus, les qualifier d’abstraites, car elles acquièrent une présence par le traitement des sous couches. Ces dernières, d’ailleurs, laissent transparaître le montage géométrique des papiers sur le support qui reste lisible même à travers la couleur. Il découpe les personnages en séquences, crée des sortes d’ « arrêt sur image » qui retient le regard sur un détail, un mouvement et fonctionne comme un « zoom avant », « zoom arrière » cinématographique (CaptitudeA4-100x70cm). Cette exploitation des agencements du fond, apparaît clairement dans ce panneau à trois personnages gesticulant, Sans titre, technique mixte, 50x40. Cet artifice ici, produit un effet de déplacement accéléré. Enfin, dans toutes les œuvres, l’huile, grattée, frottée, participe à l’ensemble dramatique.

 

   L’application chromatique justement, se révèle dans toute sa particularité lors d’une exposition à la Galerie des Arènes, à Nîmes, en 1997. L’alternance de tons purs et fondus, essuyés, transparents, atteint ici la luminosité des vitraux. Antinomique à la présence forte des matériaux de bases, cette métamorphose des teintes transmet aux figures une sorte d’évanescence. Les dégradés irradient tantôt de l’intérieur des silhouettes prisonnières d’une chrysalide-linceul, tantôt de l’extérieur. Les profils humains se présentent par paires. Ils se répètent à la manière d’un motif tantôt évidé, presque incolore contre un fond saturé, tantôt plein sur une surface qui fait apparaître une sorte d’aura autour d’eux. Cette formulation réduit le corps à une empreinte, mais dans sa sobriété, cette « impression » corporelle dépasse sa fonction esthétique. Lorsqu’elle s’insère dans un rectangle et en vient à côtoyer l’écriture, elle prend la dimension d’un signe porteur de sens fut-il énigmatique (Sans titre, technique mixte sur panneau 92x73). L’image simplifiée retourne alors à son utilisation première et s’impose comme une résurgence du sceau-cylindre mésopotamien ou du cartouche égyptien. Cette signification se fait par la forte manifestation du rendu pictural. Ce dernier, accorde, d’autre part, une dimension vivifiante aux figures figées, enserrées dans leurs gangues, debout ou couchées. En effet, c’est leur disposition répétitive dans la couleur qui crée le mouvement.(Triptyque 3x50x25cm  et Composition Russe (polyptyque). Ainsi, ce mariage  profil/couleur insiste sur le rôle des teintes mêmes comme actrices à part entière. Elles aussi font sens, mais en suggérant cette fois une portée philosophique.  Si cette lecture est déjà perceptible, alors que les figures  détachées les une des autres sont prétextes à extraire les chromatismes les plus lumineux, un autre dialogue émerge entre la densité formelle et le rendu sensoriel des teintes. Ainsi, Bleus, présente une multitude de cadavres allongés comme dans un charnier. Au premier plan, une dépouille de femme aux contours élégants est presque détaillés se détache sur un fond d’un bleu soutenu jusqu’au violet. Puis, au fur et à mesure, les formes s’estompent en même temps que la franchise du ton dominant. Celui-ci, finit peu à peu par se dissoudre dans la blancheur légère d’une brume. Ce dégradé, utilisant le procédé classique des lointains paysagés, construit la perspective et délimite un rectangle à l’intérieur duquel les corps semblent s’élever de l’ombre vers la lumière. Cette luminosité volatile, éblouissante, est insoutenable autant que la vision macabre à laquelle elle s’associe. Menée conjointement, cette modification progressive des figures et de la couleur, tire la composition vers l’abstraction. S’en dégage alors, des effets sensoriels de froid glacial, de lourdeur et à la fois de légèreté. Ce procédé adroit, induit  la méditation, il l’influence même. Il nous conduit de la  désespérance en l’humanité à l’espérance d’une délivrance dans la dissolution de l’univers infini.

   Ainsi, chaque tableau semble interpeller chez le spectateur, cette matière consciente qui constitue son corps et qu’il ne peut dissocier de son moi.

 

 

Impression visuelle, danse butô,  et « sample » du détail

 

   Au tournant du siècle, Marc Merolli poursuit sa recherche technique et esthétique dans un rendu sensoriel de plus en plus soutenu . En effet, la dialectique entre figures et couleurs évolue vers une tension énergique. Celle-ci aboutira à une sorte d’explosion irradiante obtenue par le condensé dramatique des sujets opposés à un chromatisme saturé. 

   A partir de 2006, le graphisme se fait plus insistant au sein des compositions. Il est à la fois fouillé et indicateur épuré d’un contour ou s’entremêlent profils humains et animaux . Les sens du spectateur se trouvent  bouleversés, saisi par la violence des silhouettes agitées, renversées ou échouées dans la densité lumineuse des couleurs.

Ce travail est rythmé par le détail de collages photographiques, dénonciation d’une  manifestation corporelle qu’il est de bon ton d’occulter dans nos sociétés judéo-chrétiennes et islamiques.

 

   2000, le peintre semble connaître par instant une pause chromatique. Il interroge l’utilisation de la lumière seule, ainsi que les contrastes, dans des épreuves et des tableaux  où dominent uniquement le noir. Il expérimente cette teinte, sur des formats étroitement verticaux, horizontaux et, enfin, ronds. Le premier tondo (collection particulière), apparaît comme une sorte de synthèse de toutes ses introspections. Ce panneau de 120 cm de diamètre a l’aspect d’un vinyle sur-dimensionné. Sa référence, tant à la musique qu’au mouvement rotatif est confirmée par le disque laser accroché au centre de l’œuvre. Cet élément, au premier abord incongru, se révèle très vite prendre un sens plastique et iconologique. En effet, l’opposition fibres synthétiques contre bois, éveille une remise en question sur la rupture ou l’accord possible entre tradition et contemporanéité. Mais, cette sorte de « combine painting»  interpelle encore et surtout, la place de la mémoire gravée, la trace laissée. Thématique qui,  chez le peintre, nous l’avons vu, reste constante. Décelable ici, dès le choix des matériaux. Cet agencement est d’autant plus exacerbé que la composition s’en tient au noir. Intense sur les bords du support, ce noir entre en tension avec l’éclat métallique du CD. De ce heurt, émerge une division de cercles concentriques qui suggèrent un mouvement rotatif.  Des vignettes et des silhouettes en négatif émergent, puis se fondent dans l’ombre épaisse. L’ensemble évoque soudain une bobine de film et nous retrouvons là encore l’idée de l’empreinte. En l’occurrence, c’est la lumière qui ici imprègne la virginité de l’ombre. La recherche d’intensité entre ce ton sombre et le reflet lumineux presque intrusif du disque, va  captiver d’abord le regard dans le centre, comme pour ajuster la vision avant de la laisser aller vers la périphérie. Une réaction  rétinienne s’opère alors. Dans la profondeur du noir nous distinguons tout à coup du rouge, puis des nuances de jaune et de bleu. La composition picturale devient ainsi interactive avec le regard du spectateur. Et, il s’agit en effet ici, pour l’artiste, d’interroger l’influence de la luminosité sur la mémoire visuelle du sujet regardant. De forcer, non seulement l’attention pour réapprendre à voir, mais d’écouter aussi ce qui se passe dans nos corps quand nous regardons dans un mouvement d’imprégnation et de projection.

 

   D’autres tondi suivront qui viendront souligner ce jeu du regard et des sens avec ce même discours sur l’empreinte lumineuse. Cette phase d’expérimentation tant au niveau du support rond qu’au niveau des couleurs va marquer un tournant dans la puissance expressive du travail de l’artiste. Ainsi, abandonnant le monochrome noir, Marc Merolli peint un tondo en partant d’un centre au rouge intense. Ce dernier, semble à la fois aspirer la composition et la rejeter vers l’extérieur. Ce noyau vif  s’estompe dans les jaunes et bruns, puis finit par se perdre dans la bordure sombre comme absorbé par la nuit. De ce centre émerge des corps, posés sur les différents cercles qui structurent le tableau. Ces sujets expriment toutes les positions qu’il est possible de donner à un corps solitaire ou en dialogue avec un autre dans l’acte sexuel. Ils semblent à la fois surgir des profondeurs rougeoyantes et vouloir y retourner. Cette association entre lumière, silhouette et mouvement rotatif ne manque pas de nous évoquer l’Enfer de Dante, L’Ascension vers l’Empyrée de Jérôme Bosch, voire même ce désir de  retourner dans le sein maternel, dans la quête infinie de ce qui est à jamais perdu, l’origine du monde dont l’être n’est peut-être qu’une empreinte.

 

   Quoiqu’il en soit, les silhouettes se font plus souples, spectres pâles ou transparents dans la couleur, elles  rythment le tableau dans une danse où se lisent les états d’âme. Cette rythmique des figures souvent désincarnées est soutenue par l’intervention de vignettes. Petites photos de magasine représentant de véritables personnages aux ébats érotiques ou religieux, elles surgissent du monde réel pour, semble-t-il confirmer la véracité de ce que veut traduire le peintre. Ces collages, photographiques ou articles de journaux, l’artiste les intègre dans la composition de la même manière que les samples sont utilisé en musique. Elles fonctionnent comme un écho de notre monde, elles interpellent notre mémoire et nos fantasmes les plus secrets. Elles nous rappellent enfin les pulsions bien réelles de notre chair.

 

   Quant aux corps peints, désincarnés dans la couleur, dont la présence s’impose par l’insistance donnée à leur seule expressivité, ils entretiennent une similitude avec le butô japonais qui se fera de plus en plus évidente dans les derniers tableaux.

L’artiste concentre en effet dans ces compositions de 2010, toute son attention sur les mouvements corporels associés à une recherche d’intensité lumineuse de la couleur. Passant d’un fourmillement de formes humaines et animales qui envahit tout l’espace de la composition, noyé dans des tons mêlées, diluées pour, enfin isoler un sujet dans la partie supérieure ou inférieure du tableau et jouer d’un dégradé de rouge contre un bleu-violet, ou encore concentrer l’entremêlement des figures jusqu'à la confusion d’une agitation bruyante délimité par un rectangle de couleurs contraires rouge-orangées et violettes. Le résultat crée une puissance vibratoire qui exerce une sorte de déflagration lumineuse et formelle. Cette explosion n’est pas seulement visuelle, elle gagne tous les sens du spectateur. C’est une sorte d’Hiroshima qui nous traverse, nous bouleverse, nous imprègne. Et c’est assez formidable de faire cette expérience physique par la  simple et adroite composition des couleurs.

 

   Si dans un premier temps, le travail de Marc Merolli, s’est appliqué à incarner le tableau par un équilibre entre matériau et recherche picturale, il y a dans ces dernières toiles une telle dominance chromatique, laquelle éclate d’une telle luminosité au point d’irradier jusque vers l’extérieur du tableau, que son travail paraît s’orienter vers une sorte d’évanescence. En effet, plus les formes sont pressées, les corps concentrés et malmenés, plus la couleur semble s’en extraire avec intensité. Elle est le fluide vital des sujets, ce que la matière ne peut retenir, ce qui émane d’elle.

 

 

      La démarche technique de l’artiste induit dès la préparation des toiles et des panneaux une portée philosophique. Bien sûr, la question du corps qui colle au moi et nous constitue y est primordiale, mais au-delà s’impose la question de la vie et de la mort : quelle est-elle cette pulsion qui nous traverse ? Qu’est-ce que la mort ? Peut-on  échapper à la décrépitude de la chair ? Nous le comprenons, tout le travail de Marc Merolli s’impose comme une vanité contemporaine. Bien des peintres aujourd’hui se sont confrontés à ce thème. Il paraît d’ailleurs gagner un regain d’intérêt (voir l’exposition « C’est la vie ! Vanités de Caravage à Damien Hirst » qui s’est tenue au musée Maillol, à Paris du 3 février au 28 juin 2010 »). Mais, rare sont les artistes qui lui ont consacré toutes leurs recherches.

   Chez Marc Merolli, cette Vanité comporte toujours, comme il se doit, le double langage  positif et négatif sur la manière de profiter ou non de la vie. Mais, chez lui, elle se trouve  réactualisée au-delà de la morale judéo-chrétienne. Certes, elle dénonce nos travers : violence, perversité, abus de l’héritage culturel et cultuel sur les individus etc.., mais  elle incite d’autre part, au respect de la vie, dans la sensualité des formes féminines, dans l’enlacement des amants, dans l’embrassement maternel.

Si le sujet est souvent dramatique, si le corps semble le lieu de tous les maux, le traitement des  couleurs lumineuses appelle à l’espérance et s’inscrit dans les introspections picturales actuelles…

 

Hannah Doulière

Historienne de l'Art

Photo de François Bruschet

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